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Oleg Tselkov: la liberté du prisonnier

La Dame de Pique
30.06.2014

Jusqu'au 10 août, le fonds culturel Ekaterina présente à Moscou plus de 45 œuvres de l’artiste Oleg Tselkov. C'est la première rétrospective de cette importance consacrée au peintre en Russie. D’une salle à l’autre, ce que vous verrez vous surprendra sans doute : un seul motif, décliné à l’infini.


Oleg Tselkov, La Cène, 1970

Oleg Tselkov, La Cène, 1970, collection de l'artiste © Jean-Luc Maby


« Prisonnier. » C’est le mot qu’Oleg Tselkov emploie pour parler du rapport à son art. Il se sent prisonnier dans sa création. Et ce constat, il le fait tout sourire. C'est un prisonnier heureux, accompli, libre. Cette prison, il a commencé à la bâtir lui-même en 1960 lorsque le premier de ses personnages s’est invité dans son œuvre, pour très vite ne plus laisser place à d’autres thèmes, à d’autres inspirations, à quelque intrus que ce soit. Aujourd’hui, il n'a plus vraiment le choix. Inlassablement, il peint ces étranges figures.

Ces personnages, tous ceux qui se sont intéressés à l’œuvre d’Oleg Tselkov ont tenté de les comprendre, de les analyser. Mutants, masques, pourquoi pas autoportraits depuis que, les années passant, le peintre lui aussi a le cheveu rare et tend à leur ressembler. La description la plus parlante revient au critique Simon Hewitt : « un croisement entre Mussolini, Khrouchtchev et le Phil Collins des dernières années ». Mais, derrière ces visages plus ou moins uniformisés, aux yeux en amande, à la bouche édentée, quelle signification entrevoir ? Quelle symbolique leur donner ? Les poncifs ne manquent pas : dénonciation de l’époque soviétique, l'homme déhumanisé, la fin des individualités… Chacun propose son exégèse, plus complexe que la précédente.


La symbolique de son œuvre? Là n'est pas la question.

Quand on aborde le sujet avec lui, un petit rictus gentiment moqueur tient lieu de réponse. Quelle importance ? Oleg Tselkov est bien élevé, il se prête au jeu des questions et nous donne quelques explications sur ces bonshommes. Mais il est clair que pour lui, la question n’est pas là : elle ne se pose même pas.

« Pour moi, ce sont toujours des rencontres, explique-t-il. Je me mets devant la toile vide. Je peins sans trop savoir où je vais. Et puis à un moment, il arrive. Et à mesure qu’il apparaît, je comprends qu’il est méchant ou amusant ou encore timide. » Lorsque le regard de Tselkov passe de l’un à l’autre des tableaux qui emplissent son appartement parisien, on sent qu'il ne s'agit pas d'une posture. L'artiste entretient réellement une relation particulière avec chacun d’entre eux.

Cette relation à ses œuvres sont sa seule satisfaction, dit-il, chaque fois que de grandes expositions lui sont consacrées à travers le monde. La gloire ? « Non, c’est flatteur cinq minutes et puis c’est tout, assure-t-il. Je détesterais être célèbre, j’ai besoin qu’on me laisse tranquille quand je bois mon café en terrasse. »

En revanche, les expos sont l’occasion de retrouver de vieux amis, ou de vieux ennemis. Une fois la toile peinte, il la donne, il la vend, il ne veut plus la voir. Vingt ans après, cela lui fait alors plaisir de les recroiser tous réunis dans une galerie. Comme une réunion d'anciens élèves, sauf que là, le peintre n’est pas obligé de trouver quelque chose à leur raconter.


Oleg Tselkov, Théâtre, 2008

Oleg Tselkov, Théâtre, 2008. Collection Ekaterina et Vladimir Semenikhin.


Une fois que l'on a à l'esprit son rapport à l'art, Oleg Tselkov n'en devient que plus étonnant. Philosophe à sa manière, il est d’un cynisme sans aigreur, plein de joie de vivre. « Quand un critique écrit quelque chose d’acerbe sur mon œuvre, je suis très triste, confie-t-il. Et puis en quelques heures, j’oublie, je me dis que c’est un con. En revanche, quand un autre dit que je suis un génie, je suis aux anges, je bombe le torse. Et puis j’oublie aussi et je me dis qu’après tout, c’est sûrement un con lui aussi. »


« Le tableau doit montrer quelque chose d'invisible, mais de plus réel que ce que l'on voit. »

Si ce regard de l'autre sur lui ne lui importe que peu, c’est aussi parce qu’aucune critique ne pourrait changer sa façon de peindre. On peut lui dire : « Fais des paysages ! Fais des natures mortes. Moi, j’aimerais bien, mais je ne sais pas peindre tout ça. Moi je sais peindre mes personnages. » Cela va sans dire qu’il ne souffre aucune lacune technique pour peindre tout autre chose, quoi qu’il en dise. Mais pour lui, un tableau n’a pas à représenter la réalité, il doit se situer sur un autre plan. Il doit montrer quelque chose d’invisible, mais de plus réel que ce que l'on voit. Et cette vérité, chaque artiste en a une en lui. S’il la découvre un jour, il peut la retranscrire. Il ne doit rien chercher à dire d’autre, ce serait superflu.


Oleg Tselkov, Le Cavalier, 1998

Oleg Tselkov, Le Cavalier, 1998, musée de l'Ermitage.


Dans la Recherche du temps perdu, Marcel Proust (au bout de plusieurs milliers de pages) arrive à peu près à cette même définition complexe de l’artiste et de l’œuvre d’art véritable, comme révélée. Oleg Tselkov exprime lui aussi cette idée, cette évidence : « Ces personnages, c’est ce que je devais peindre, dit-il. Je les ai trouvés un jour, sans les chercher. Depuis, je les peints. Je ne vois pas pourquoi je ferais autre chose. Paganini, il ne construisait pas de maison, il n’est pas allé dans le cosmos, il faisait du violon. Moi je peins mes personnages. »

C’est cela la prison qu’il s’est constituée. Tselkov ne parcourt pas les chemins de son art en quête d’un renouvellement constant. Ce n’est pas un artiste torturé cherchant sans cesse la justification de son travail. Un personnage lui est apparu un jour sur la toile, comme il a un jour trouvé son appartement dans le nord de Paris. Depuis, il n’a pas bougé. Depuis plus de quarante ans de vie parisienne, il n’a pas appris plus de trois phrases de français, il n’a pas cherché à comprendre comment peindre une rue ou un animal. Il a peint ce qu’il devait peindre. Comme un prisonnier qui aurait la clef de sa cellule, mais resterait tranquillement dans son lit, parce qu’il y est mieux qu’ailleurs. Et puis, quand bien même il est prisonnier, il n’est jamais seul. A chaque toile commencée, c’est un nouveau compagnon qui le rejoint.

Voilà qu'en quittant l'appartement de l'artiste, un tableau plus petit que les autres attire l'œil, qui représente une libellule, toute seule. Agaçant cette sensation de n’avoir peut-être rien compris après tout.


Auteur GUILLAUME HOUSSE
La Dame de Pique

 

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