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"Le Figaro", 7 Avril 2004
ARTS Les peintres russes du «Valet de Carreau» rassemblés pour la première fois à Monaco Les couleurs de l'anticonformisme.
La couleur rouge pour la force, le personnage du valet pour la jeunesse : a Moscou, l'hiver 1910, la premiere exposition du «Valet de Carreau» avait provoqué le scandale. Le tableau-enseigne de la manifestation, un double autoportrait, représentait les peintres Machkov et Kontchalovski, presque nus, en slips vert et violet, tels des athletes. Les couleurs vives des toiles exposées par Larionov, Gontcharova, Kontchalovsky, Machkov, Lentoulov, Falk, Kouprine et les autres s'affichaient comme une victoire contre les points de vue esthétiques banals et les gouts petits-bourgeois. «Ils peignaient l'antithese intrépide de l'académisme omniprésent et du réalisme, souligne Zelfira Trégoulova, commissaire de l'exposition. Ils exprimaient la volonté délibérée de renverser les regles conformistes de la société.»
Natures mortes, paysages, portraits, nus, tous les genres picturaux en vogue aupres de ces artistes ont été rassemblés a l'occasion de l'exposition Les Peintres russes du Valet de Carreau, de Cézanne a l'avant-garde», organisée par la Fondation Ekaterina, le Centre d'État des musées du ministere de la Culture de la Fédération de Russie et la direction des Affaires culturelles de la Principauté de Monaco.
Jusque-la, aucune tentative n'avait jamais été réalisée pour rendre compte du travail de ces artistes, des années 10 jusqu'au début des années 20, L'association «Valet de Carreau», qui vit le jour en 1911 et fut dissoute en 1917 pendant la Révolution, fut pourtant a l'origine d'un mouvement pictural déterminant dans l'histoire de l'art de la Russie : l'un des premiers courants de l'avant-garde russe précédant les étapes cubiste et non figurative. Il organisait des expositions qui accueillaient les fondateurs de l'association mais également des maîtres reconnus de l'avant-garde russe comme Malevitch et Kandinsky et des peintres étrangers tels Matisse, Picasso, Braque et Derain.
Essentiellement figurative, la peinture des Valets est marquée par la richesse de la culture russe, associée aux expériences picturales étrangeres. Cézanne, les postimpressionnistes, les Fauves et les cubistes ont une influence déterminante sur leur travail. Pour Konchalovsky notamment, Cézanne et Van Gogh étaient «les libérateurs de l'époque». «Les liens avec l'histoire de l'art européenne sont tres étroits, note Andrei Sarabianov. historien d'art. L'influence du cubisme français et du futurisme italien saute aux yeux. Mais si l'on peut dire de ces derniers qu'ils sont des arts analytiques, l'art russe est avant tout un art du regard, extremement émotionnel. Ces peintres avaient un rapport tres courageux avec la couleur.»
On disait que leurs peintures provocatrices rendaient fous les visiteurs. Avec eux, les choses les plus simples de la vie ont fait leur entrée dans l'art. Natalia Gontcharova représentait le monde paysan comme une fete. Les toiles de Larionov donnaient la parole a la rue. Lentoulov, fasciné par les vieilles églises de Moscou, rendait en peinture le son des cloches.
Les valets voyageaient beaucoup. Sienne et l'art primitif italien ont ainsi inspiré Kontchalovsky qui partait également peindre les matadors en Espagne. Machkov, lui, aimait se retrouver sur le lac de Geneve. Quant a Exter, l'unique artiste de l'avant-garde Russe a avoir participé a toutes les expositions du Valet de Carreau, il louait un atelier a Venise avec Argento Sofficci. Tous ont su traduire l'enthousiasme débordant du peuple exubérant et joyeux qu'ont toujours été les Moscovites.
Les quatre-vingts oeuvres provenant des plus grands musées russes seront exposées, l'été prochain, au cours des «Nuits blanches de Saint-Pétersbourg» au Musée d'État de la ville. Elles devraient ensuite partir pour un tour d'Europe, notamment en Italie et en Espagne.